Ukraine: les drones russes sont composés de technologie suisse

, Ukraine: les drones russes sont composés de technologie suisse

Les drones russes sèment la mort et la destruction en Ukraine. Une enquête montre désormais que des composants «made in Switzerland» y sont intégrés. La Confédération met en garde toute entreprise exerçant encore en Russie.

08.09.2023, 07:5708.09.2023, 07:58

Remo Hess, bruxelles et Stefan Bühler / ch media

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Les drones kamikazes russes de type Shahed arrivent en essaim, le plus souvent la nuit ou au petit matin. Le président russe Vladimir Poutine en a envoyé 54 sur la région de Kiev. Si la défense aérienne ukrainienne a pu abattre la majeure partie d’entre eux dans la nuit du 28 mai, dans d’autres cas, les choses se sont moins bien terminées. Le 10 juin, trois personnes ont perdu la vie lors de l’attaque contre un immeuble d’habitation à Odessa. Dix autres ont été blessées, certaines grièvement, dont un enfant de cinq ans.

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Ces engins mortels télécommandés font partie intégrante de la terreur que la Russie fait régner sur l’Ukraine. Rien qu’au cours des trois derniers mois, Poutine a lancé plus de 600 drones Shahed. S’y ajoute le drone Lancet, de fabrication russe: une bombe volante qui peut être dirigée avec une grande précision vers sa cible, grâce à un contrôle vidéo.

Un groupe de travail international, notamment composé du conseiller présidentiel ukrainien, Andryi Yermak, et de Michael McFaul, l’ancien ambassadeur américain en Russie, s’est penché de plus près sur les drones russes. Ils ont trouvé au total 176 composants que les Russes se procurent à l’étranger malgré les sanctions, comme le montre le rapport final publié fin août.

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Un drone «Lancet» lors d’une exposition en Russie, le 17 août 2023.Image: EPA

Mais dans le lot, on trouve également des composants provenant d’entreprises suisses ou établies en Suisse. Le drone Lancet est doté d’un récepteur GPS provenant de l’entreprise zurichoise U-Blox, spin-off de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ). Le drone Shahed utilise quant à lui un microprocesseur venant du grand groupe technologique «STMicroelectronis», basé à Genève. Enfin, le drone de reconnaissance Orlan-10 est équipé d’un bloc d’alimentation, de l’entreprise familiale zougoise «Traco Power».

Les services secrets ont stoppé plusieurs livraisons

La Confédération est bien consciente du problème. Les entreprises mentionnées dans le rapport Jermak-McFaul ont déjà été contactées l’année dernière. Depuis l’adoption des sanctions, toutes les indications sur d’éventuelles affaires de contournement sont examinées, explique Fabian Maienfisch, porte-parole du Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco). Outre les autorités douanières suisses, le service de renseignement est également impliqué dans les investigations.

Mais comment se fait-il que l’on trouve encore aujourd’hui de la technologie suisse dans les drones russes? Le problème réside dans le fait que les composants suisses utilisés sont en grande partie des produits industriels de masse «prêts à l’emploi» qui, contrairement aux biens à usage potentiellement militaire, ne sont soumis à aucune contrainte.

Sur l’épineux dossier des sanctions contre la Russie

En effet, le rapport du groupe d’experts indique que de nombreux composants de drones peuvent être achetés facilement sur des sites de commerce en ligne comme «Alibaba» ou «AliExpress». Cette disponibilité représente un défi et soulève des questions sur la surveillance et la réglementation de ce commerce.

Le Seco tente de contrôler les flux commerciaux en collaboration avec les entreprises concernées. Mais ce n’est pas si simple, surtout lorsque la distribution se fait par le biais de tiers à l’étranger. Néanmoins, il a déjà été possible d’identifier des commerçants étrangers qui ont acheminé des marchandises critiques vers la Russie.

«Les entreprises suisses ne les approvisionnent plus»

Le Seco

Il a notamment été possible d’empêcher l’acheminement de drones, de tissus en carbone pour la construction de drones, de produits chimiques, de générateurs de signaux, de composants électriques et de machines-outils à des fins liées à l’armement, vers la Russie.

La «liste prioritaire des biens critiques pour les tentatives d’acquisition à des fins militaires» comprend notamment des processeurs et des contrôleurs ou des «appareils pour la réception, la conversion, l’envoi et la transmission ou la récupération de la voix, d’images ou d’autres données.»

Dans le cadre du commerce de ces biens, le Seco met en garde contre ce que l’on appelle les red flags. La prudence est par exemple de mise lorsqu’un nouveau client demande soudainement de plus grandes quantités de marchandises de la liste prioritaire et est prêt à payer nettement plus que le prix habituel du marché. Ou lorsqu’une entreprise n’a été créée qu’après le 24 février 2022, date du début de la guerre en Ukraine, et qu’elle a son siège dans un pays qui ne fait pas partie de la coalition internationale de sanctions.

Les entreprises craignent pour leur réputation

Le fabricant d’électronique U-Blox, dont la puce de navigation GPS a été trouvée dans le drone Lancet, a réagi suite au rapport d’enquête. Sven Etzold, chargé de communication, rappelle que depuis plus de vingt ans, U-Blox interdit strictement l’utilisation de ses produits à des fins militaires. Immédiatement après l’invasion russe de l’Ukraine, toutes les ventes en Russie, en Biélorussie et dans les territoires occupés ont été stoppées. La firme a récemment arrêté ses échanges avec les ex-républiques soviétiques de la société économique eurasienne.

Les composants trouvés dans les drones russes ont été soit achetés avant les sanctions, soit distribués par des clients existants, soit introduits en contrebande en Russie, soit retirés d’autres produits pour être intégrés dans des drones russes. Selon U-Blox, des récepteurs GPS de ce type sont présents dans de milliards de produits, par exemple les scooters électriques, les voitures ou les machines de chantier.

Traco Electronic a également pris position: la direction précise que leurs composants sont des «produits industriels de masse et ne sont définitivement pas conçus pour une utilisation militaire, et encore moins autorisée».

«Nous regrettons et sommes bouleversés que des composants électroniques portant notre logo aient été trouvés détournés de leur usage initial dans une application militaire»

Traco Electronic

Il s’agit de marchandises régulières qui n’apparaissent dans aucune ordonnance à double usage et qui sont disponibles dans le monde entier via des boutiques électroniques en ligne.

«A partir du 28 février 2022, notre société a complètement cessé toutes les livraisons et relations commerciales avec la Russie, y compris celles passant par des pays tiers, avec effet immédiat.»

Traco Electronic

Enfin, STMicroelectronis fait savoir qu’elle n’est plus active en Russie. Depuis le début de la guerre, les efforts ont été intensifiés pour respecter toutes les sanctions contre la Russie. Les produits ne peuvent être utilisés que conformément à leur destination. C’est ce que STMicroelectronics s’efforce de faire respecter dans le monde entier grâce à un programme international de conformité, en collaboration avec des clients et des fournisseurs, ainsi que des organisations gouvernementales et non gouvernementales.

L’UE cible les anciennes républiques soviétiques

Le fait que les Russes courtisent les biens de consommation occidentaux et intègrent ces composants électroniques dans leurs drones et leurs missiles a été révélé peu après le début de la guerre. Par exemple, l’exportation d’appareils électroménagers, comme des machines à laver, vers le Kazakhstan a explosé. Les Russes convoitent les semi-conducteurs et les éléments de commande qui y sont intégrés.

Afin de mettre un terme à ce type d’opérations de contournement, l’Union européenne a récemment nommé un représentant spécial, David O’Sullivan, chargé d’enquêter sur les pays suspectés. Selon lui, les efforts de l’UE et de l’Occident ont déjà porté leurs fruits.

«De nombreux pays ne veulent pas être des plates-formes pour des affaires de contournement et ont déjà rendu la réexportation de telles marchandises plus difficile, voire impossible»

David O’Sullivan

Mais pour vraiment s’attaquer au problème, l’Occident devrait avant tout s’asseoir à la table des négociations avec la Chine. Près de 70% des composants étrangers trouvés dans les drones russes ont été expédiés depuis la Chine.

Traduit et adapté de l’allemand par Anaïs Rey

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