Si, si l’industrie de défense n’est que le reflet de l’ambition et des moyens de la France

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Vendredi à Cherbourg, au cœur d’un des sites de la dissuasion nucléaire française, Emmanuel Macron s’en est pris (à tort ?) lors des vœux aux armées aux industriels de la défense, coupables, selon lui, d’une « forme d’engourdissement satisfait ». Mais cette industrie stratégique, tout comme les armées avec ses formats, ne sont finalement que le reflet de l’ambition et des moyens de la France, plus précisément de la volonté des responsables politiques qui ont été à la tête du pays depuis 30 ans. Très clairement, le Chef de l’État a fait et continue de faire le job pour augmenter les dépenses de défense de la France depuis 2017.

« Le budget de nos armées aura été multiplié par deux en deux quinquennats », a-t-il rappelé. Effectivement, de 32,3 milliards d’euros en 2017, le budget des armées culminera en principe à 67,4 milliards (47,2 milliards en 2024). « C’était indispensable car nous savons combien nous vivons un temps de préoccupation et de gravité avec la multiplication des crises parfois simultanées », a précisé le président. Il a confié la mission au ministre des Armées Sébastien Lecornu de mettre en œuvre la « loi de programmation que nous respecterons à l’euro près, comme nous l’avons fait pour la précédente, pour faire de ce texte une réalité ». En 2024, le ministère attend des livraisons de matériels pour plus de neuf milliards d’euros et va commander pour 14 milliards d’euros.

Un effort louable mais pas au niveau des enjeux

L’effort est louable. Mais, Emmanuel Macron n’a pas les moyens de réarmer vraiment la France, coincée entre ses déficits mais aussi ses dépenses sociales et l’explosion des besoins des armées face aux crises internationales (Ukraine, Israël…) La LPM (Loi de programmation militaire) 2024-2030, aussi ambitieuse soit-elle (413,3 milliards d’euros sur la période), est pourtant loin d’être à la hauteur des enjeux stratégiques du moment et de demain ainsi que des ambitions rêvées de l’exécutif actuel. Que pèse la France face à la Chine en IndoPacifique, ou même face à la Russie qui a su mettre en œuvre sur une grande échelle une économie de guerre en dépit des sanctions occidentales, qui devaient lui casser les reins ?

Faut-il alors parler de déclin ? Non plus. L’industrie de défense s’est adaptée de tout temps aux ambitions des responsables politiques tout en cherchant des marchés à l’exportation pour maintenir un modèle économique viable et continuer à fournir de façon plus ou moins souveraine les armées françaises. C’est le cas également pour les trois armées, dont les formats n’ont pas évolué en dépit du contexte international et des « ambitions » de la LPM. Faute de moyens dans les années 2000/2010, elles ont souvent sur-spécifié leurs systèmes d’arme pour disposer d’équipements de très haute technologie sachant tout faire ou presque. C’était une façon de garder le fameux modèle d’armée complète mais de faible épaisseur. Ce modèle d’armée à trop large spectre a-t-il fait long feu ? En tout cas, de nombreux militaires estiment que la LPM manque d’une vision stratégique.

Une économie de guerre très ciblée

Promoteur de l’économie de guerre en juin 2022 lors du salon de l’armement terrestre d’Eurosatory quelques mois après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, un concept qui avait alors totalement surpris tout l’écosystème de défense, le Chef de l’État a en même temps rappelé que « nous ne sommes pas en guerre contre la Russie, mais notre devoir est de rendre leur victoire impossible ». La France va poursuivre son aide précieuse mais limitée à l’Ukraine pour répondre à l’emploi des drones notamment. « Nous le ferons de manière pragmatique et concrète en poursuivant les formations, en les équipant dans tous les domaines qui leur sont essentiels : l’artillerie, la défense sol/air et les frappes à distance », a expliqué Emmanuel Macron.

L’économie de guerre reste limitée aux domaines évoqués par Emmanuel Macron, munitions comprises. Les entreprises concernées ainsi que leurs sous-traitants sont essentiellement Nexter (Caesar, obus de 155 mm), MBDA (missiles) et, à degré moindre, Thales (radars GM200 et GM400, qui se vendent à l’export comme des petits pains). Pour le reste, la LPM 2024-2030 a étalé les livraisons du programme Scorpion, les véhicules blindés Jaguar, Griffon, Serval. Les commandes nationales de Rafale (Dassault Aviation) n’ont pas été augmentées, ni accélérées. Ni celles des navires pour la Marine nationale (Naval Group), dont le format des frégates de premier rang devrait pourtant être revu à la hausse.

« La France a un rendez-vous avec son industrie de défense, une industrie en mode économie de guerre, pas un slogan, non, mais une capacité de production plus rapide et plus forte », a pourtant exhorté vendredi le Chef de l’État. Entreprise publique (50%), Nexter a dû se mettre au diapason en dépit des grognements du conseil d’administration de KNDS, la maison mère franco-allemande. Le groupe se dit capable de produire jusqu’à huit Caesar par mois si les commandes le nécessitent. « Nous devons passer à une réalité systémique et systématique », a martelé le président. Pour autant, Dassault Aviation ne se sent pas concerné par l’économie de guerre mais il peut monter sa cadence de production à quatre Rafale par mois, contre trois actuellement. Airbus non plus d’ailleurs (réduction des ambitions pour le Tigre, l’A400M…).

Emmanuel Macron « demande à chaque patron d’être totalement concentré sur les enjeux de production et d’approvisionnement. Il ne faut plus jamais se satisfaire de délais de production qui s’étalent sur plusieurs années ». Il a fustigé certaines entreprises qui « ont tardé à comprendre le changement de contexte stratégique, l’importance de pouvoir livrer vite. Elles ont, depuis un an et demi, manqué parfois des contrats et je le regrette ».

« Nous avons connu une forme d’engourdissement satisfait qui nous permettait de conserver un très haut niveau de qualité, très élevé mais cher, coûteux, à petit flux, à petite innovation, parce qu’il y avait en quelque sorte un client qui était l’agent export, le garant et l’acheteur si l’export ne marchait pas », a fait valoir Emmanuel Macron. C’est vrai et cela le restera pour les systèmes d’armes les plus stratégiques, dont la France a un besoin vital. Et d’ajouter que « ce monde ne le permet plus ». Cela dépendra en très grande partie de la commande publique… En revanche, les industriels attendent encore et toujours les fameuses simplifications administratives pour faciliter les commandes et donc accélérer les livraisons aux armées. Est-ce une promesse qui n’engage que ceux qui les écoutent ?

Michel Cabirol

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