Ces dernières semaines, le conflit a pris une nouvelle tournure avec l’usage massif de drones, notamment côté russe. La future contre-offensive ukrainienne n’y est pas étrangère.
GUERRE EN UKRAINE – Après une quinzaine de mois de guerre en Ukraine, le conflit entre Kiev et Moscou a pris un nouveau tournant durant ce mois de mai, qui s’est amplifié la semaine dernière dans les capitales, quand celui-ci a véritablement basculé dans une « guerre des drones », ces petits engins pilotés à distance utilisés par les deux camps.
Des drones russes contre Kiev, des drones attaquant Moscou, des drones bourdonnant par centaines au-dessus du front… Cette nouvelle guerre a de multiples facettes, tactiques, psychologiques et financières.
Dernière attaque en date, celle impliquant plusieurs drones qui se sont abattus mardi 30 mai à l’aube sur des immeubles de Moscou, prenant de court des habitants pour qui le conflit semblait lointain, à plus de 500 kilomètres de la frontière. Selon les autorités russes, huit drones ukrainiens ont été détectés, tous ont été neutralisés, mais certaines épaves sont tombées sur des habitations. Deux personnes ont été légèrement blessées, selon le maire de Moscou.
Bien que spectaculaire et inédite par son ampleur, cette attaque reste modeste par rapport aux vagues de drones russes que subit Kiev. L’armée de l’air ukrainienne a ainsi déclaré avoir abattu 29 drones de fabrication iranienne Shahed sur 31 lancés dans la nuit de lundi à mardi, « presque tout près de la capitale et dans le ciel de Kiev ».
Dimanche 28 mai, les autorités de Kiev avaient affirmé avoir contré « l’attaque de drones la plus importante » sur la capitale « depuis le début de l’invasion » russe, qui avait toutefois fait deux morts et trois blessés. L’état-major avait précisé qu’une quarantaine de ces drones avaient été envoyés au-dessus de Kiev, visée pour la quatorzième fois en un mois, une série inédite. La même source ajoutait que 58 des 59 engins explosifs envoyés avaient été abattus.
La Russie veut « épuiser la défense aérienne ukrainienne »
Par contraste, Moscou et sa région n’ont été jusqu’à présent que très rarement visées, même si ce type d’attaque s’est multiplié ailleurs en Russie. Début mai, deux drones ont été abattus au-dessus du Kremlin, le siège du pouvoir russe, lors d’une spectaculaire attaque imputée à l’Ukraine mais dont Kiev a nié l’origine.
Comment faut-il analyser cette nouvelle stratégie côté russe ? « Ils tentent de limiter nos capacités : vider notre stock de missiles sol-air et détourner nos forces », répond à l’AFP un haut-responsable ukrainien, soulignant le faible coût des drones de fabrication iranienne Shahed employés par Moscou. « C’est leur réaction aux préparatifs de la contre-offensive ukrainienne, assure-t-il aussi. L’attaque attendue les rend nerveux. »
Les taux de réussite de la défense antiaérienne ukrainienne, dotée d’armes occidentales sophistiquées, sont montés en flèche depuis le début de la guerre. Essentiellement grâce aux États-Unis, qui ont fourni à Kiev leurs systèmes de défense antiaérienne avancé Patriot, qui sont depuis devenus des cibles prioritaires pour les forces russes.
Ces attaques de drones russes sont aussi une manière de « détourner les moyens de la ligne de front », ajoute sur BFMTV le colonel et historien militaire Michel Goya, dans l’optique d’entretenir une guerre d’usure et concentrer les efforts ukrainiens autour de ses villes afin d’affaiblir la potentielle force de frappe sur le front à l’Est.
La tactique ukrainienne à double tranchant
Côté ukrainien, les attaques de drones marquantes de mai, comme celles du Kremlin ou de mardi à Moscou, « attestent de la capacité de résistance et d’initiative de l’Ukraine, y compris par l’usage d’armes symboliques de la guerre du futur destinés à montrer sa maîtrise technique et logistique des opérations », analyse auprès du HuffPost Loïc Simonet, spécialiste des questions de sécurité européenne à l’Institut autrichien pour les affaires internationales (Oiip), à Vienne. « Une telle action galvanise la cohésion et la résilience des Ukrainiens, qui se sont enthousiasmés pour le Dronarium, une “académie” de formation au maniement des drones située dans les environs de Kiev », ajoute l’expert.
Malgré tout, Loïc Simonet estime que ce mode opératoire est à double tranchant. « Si l’attaque (de mardi) a clairement pour but d’ébranler l’opinion publique russe, elle pourrait aussi paradoxalement renforcer sa cohésion autour du pouvoir et dissiper ce qui lui restait d’interrogations quant au bien-fondé de l’invasion de l’Ukraine. » Selon lui, « elle laisse le champ libre à la rhétorique agressive des éléments extrémistes du pouvoir russe, tels qu’Evgueni Prigojine, le médiatique patron de la milice Wagner, qui a fustigé l’incapacité du ministère de la Défense à protéger le ciel de la capitale. »
Des armes peu coûteuses mais facilement destructibles
Sur le terrain, les deux camps utilisent de multiples types de drones, dont la plupart sont utilisés près du front, pour la reconnaissance, l’identification de cibles ou les attaques.
En plus des drones suicides iraniens Shahed qu’elle fait pleuvoir, l’armée russie a fait du drone explosif Lancet-3 un atout notable, tout en présentant l’avantage d’être rustique et peu coûteux (de 20 à 40 000 dollars pièce). Cette munition rôdeuse est composée d’un fuselage d’environ 1,60 mètre, équipé de quatre ailes et d’une hélice à l’arrière. Chargée d’explosifs, ce drone s’illustre depuis des mois par son efficacité, notamment contre les canons livrés à Kiev par ses alliés occidentaux.
C’était pas forcément gagné dès le départ, mais le petit drone russe Lancet s’impose comme une des armes de choix de Moscou pour faire face à l’afflux de matériel adverse, notamment en faisant de la « contrebatterie dronisée ». Solution typique des conflits qui durent 1/ (un 🧶) https://t.co/eClN7hozo9 pic.twitter.com/DjSw1QrRiu
— Stéphane Audrand (@AudrandS) May 24, 2023
L’armée russe utilise aussi l’Eleron-3, d’un rayon d’action d’une cinquantaine de kilomètres, ainsi que de petits quadricoptères du commerce achetés par souscription publique et trafiqués, d’une portée de moins de 10 kilomètres.
Côté ukrainien, la gamme employée comprend des drones tactiques comme le Furia, avec un rayon d’action d’une cinquantaine de kilomètres. À Moscou mardi, les modèles UJ-22 et Beaver ont été utilisés, selon des experts interrogés par Le Parisien. Le premier ressemble à un petit avion qui peut parcourir jusqu’à 800 km à une vitesse de croisière de 120 km/h et transporter 20 kg de charge. Le drone MALE (moyenne altitude, longue endurance) turc Bayraktar TB2 avait lui été un des héros de la résistance ukrainienne au début de l’invasion.
Face à ces essaims, chaque camp a déployé des défenses, notamment électroniques, pour brouiller des appareils parfois à très bas coût qu’il n’est pas possible ni souhaitable d’abattre avec des missiles très coûteux. Au final, les pertes de drones sont très élevées, « on considère que chaque drone ne vole pas plus de 4 à 6 fois avant d’être abattu », selon une source industrielle à l’AFP. Les Ukrainiens font passer le message qu’ils en perdent 10 000 par mois. Un chiffre invérifiable qui peut s’inscrire dans une stratégie de communication vis-à-vis des soutiens occidentaux de Kiev.
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