La chaîne américaine CNN a affirmé mercredi que l’Ukraine était “probablement” à l’origine de plusieurs frappes de drones au Soudan contre des mercenaires de Wagner et des hommes paramilitaires des Forces de soutien rapide du général Mohamed Hamdane Daglo. Si l’information est confirmée, il s’agirait de la première attaque ukrainienne contre les intérêts russes en Afrique.
Déjà bien occupé sur le front de sa guerre contre la Russie, pourquoi l’Ukraine viendrait-elle s’immiscer dans le conflit au Soudan ? Kiev est soupçonné d’avoir commandité des frappes de drones aux abords d’Omdurman, une ville sur l’autre rive du Nil face à la capitale Khartoum, a affirmé la chaîne américaine CNN mercredi 20 septembre.
Des vidéos, dont la plupart sont en vue subjective, montrant des drones “kamikaze” s’abattre sur des véhicules légers circulent depuis près d’une semaine déjà sur les réseaux sociaux. “Elles ont immédiatement attiré l’attention car il n’y avait pas d’attaques de drones jusqu’à présent dans le conflit au Soudan. On a d’abord pensé que l’armée soudanaise s’était inspirée de l’exemple ukrainien, puis il a rapidement été question d’une opération spécifiquement ukrainienne dans le pays”, détaille Sim Tack, un analyste militaire pour Force Analysis, une société de surveillance des conflits.
Du texte en cyrillique
CNN affirme avoir eu la confirmation d’une source militaire ukrainienne que l’implication de Kiev dans ces frappes était l’hypothèse la plus probable. Des forces spéciales auraient été dépêchées sur place pour viser les mercenaires du groupe Wagner et les combattants des Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdane Daglo, dit « Hemedti », soupçonné d’être soutenu par le groupe paramilitaire russe.
Ces agents ont lancé quatorze attaques de drones visant des véhicules légers transportant des combattants, précise CNN.
Contacté par la chaîne américaine, le ministre ukrainien de la Défense s’est refusé à “confirmer ou nier” ces allégations, tandis que l’armée régulière du général al-Burhan, en guerre contre les FSR depuis avril 2023, a affirmé ne “pas avoir connaissance d’opération ukrainienne au Soudan”
Principal indice d’une implication ukrainienne dans ces frappes : des images de l’interface utilisée par l’opérateur des drones “montrent du texte à la fois en anglais et aussi écrit en cyrillique ”, souligne Sim Tack.
Les drones identifiés sur les vidéos, des DJI MAVIC 3 chinois, ont en outre été régulièrement utilisés par l’armée ukrainienne contre les Russes. “Ce sont des drones commerciaux civils faciles à modifier pour y attacher des explosifs”, souligne Danilo delle Fave, spécialiste en stratégie militaire à l’International Team for the Study of Security (ITSS) Verona.
Pourquoi pas de meilleurs drones ?
Est-ce suffisant pour conclure à la première opération avérée d’agents ukrainiens contre les intérêts russes sur le continent africain ? “La seule manière d’être sûr à 100 % serait d’avoir la confirmation officielle de l’Ukraine, de l’armée ou de pouvoir analyser les débris. On n’aura probablement rien de tout cela”, résume Danilo delle Fave qui, pour sa part, juge plausible la thèse de drones de l’Ukraine au Soudan.
Reste encore à savoir qui aurait été envoyé sur place pour mener une telle mission. “Il y a l’embarras du choix. Avant la guerre, l’Ukraine avait des services de renseignement très actifs”, souligne Sim Tack. Pour Danilo delle Fave, le principal suspect serait “le GUR MOU, c’est-à-dire les espions militaires ukrainiens qui ont la réputation d’être en première ligne pour les missions risquées”.
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Un recours à des troupes d’élites qui nourrit le scepticisme de certains commentateurs à l’égard de l’implication ukrainienne. “Si Kiev va jusqu’à dépêcher des agents spéciaux au Soudan dans le contexte actuel de guerre en Ukraine, pourquoi leur fournir de simples drones commerciaux, alors que l’Ukraine construit des modèles bien plus perfectionnés, et qui sont capables de transporter des charges explosives plus importantes ?”, s’interroge ainsi Huseyn Aliyev, spécialiste du conflit en Ukraine à l’université de Glasgow.
Les DJI MAVIC 3 “peuvent être efficaces pour viser une ou deux personnes dans une voiture, mais pas pour faire exploser un véhicule léger militaire transportant plusieurs soldats”, poursuit cet expert. L’une des vidéos postées montre d’ailleurs un tel véhicule obligé de s’arrêter après avoir été touché par un drone, mais sans avoir été entièrement détruit.
Tout ça pour ça ? C’est ce que se demandent les sceptiques. Mais les Ukrainiens peuvent ne pas avoir envie de gâcher leurs meilleurs drones, alors même que l’effort de contre-offensive bat son plein, rétorquent ceux qui, interrogés par France 24, jugent l’hypothèse d’une opération ukrainienne possible.
Le but ne serait pas non plus d’éliminer le plus de mercenaire de Wagner possible en une seule frappe. Après tout, ces combattants ne participent même plus à la guerre en Ukraine et sont, depuis la mutinerie de feu leur chef Evguéni Prigojine, cantonnés à leurs missions africaines.
Viser les intérêts russes au Soudan
Il s’agirait davantage de démontrer que “les Russes ne sont à l’abri nulle part et qu’il est aussi dangereux pour quiconque de collaborer et faire des affaires avec eux”, estime Danilo delle Fave.
À ce titre, le choix du Soudan pour frapper Wagner et ses supposés alliés des FSR peut sembler judicieux. Le pays représente un enjeu économique stratégique pour Moscou depuis 2014. Après l’imposition des sanctions internationales à la suite de l’annexion de la Crimée, la Russie a cherché de nouvelles sources de revenus, et les mines d’or situées dans le sud du pays représentaient une cible des plus alléchantes.
À partir de 2017, Wagner a tout fait pour s’assurer un accès à l’industrie aurifère soudanaise à travers des investissements effectués par des sociétés écrans, comme l’a révélé le New York Times dans une enquête publiée en juin 2022.
C’est aussi la raison pour laquelle la Russie a préféré miser sur le général Mohamed Hamdane Daglo. Son clan contrôle, en effet, “directement une partie des mines d’or”, souligne Sim Tack.
Les frappes de drones constitueraient ainsi un avertissement. L’Ukraine veut démontrer sa capacité à frapper au portefeuille russe : “Kiev sait que la guerre en Ukraine peut encore durer longtemps et, en s’immisçant dans le conflit soudanais, il peut fragiliser une source de revenu russe en aidant les adversaires des alliés de Moscou”, note Sim Tack. Si ces frappes sont bien ukrainiennes, elles illustrent ainsi probablement le vieil adage qui veut que “les ennemis de mes ennemis sont mes amis”.
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