Malgré les sanctions internationales qui visent régulièrement l’industrie de défense iranienne, l’Iran s’affirme comme un acteur crédible du marché de l’armement en exportant de nombreux modèles d’armes. Le pays approvisionne ainsi les belligérants des principaux conflits contemporains, comme la Russie ou le Soudan, défiant l’autorité des institutions internationales.
Récemment confirmée par le ministère des Affaires Etrangères français, la livraison de missiles balistiques iraniens Fath-360 en Russie a ravivé les débats autour de l’industrie de défense iranienne et de l’efficacité des embargos. L’Iran s’affirme ainsi comme un nouvel acteur du marché de l’armement, surmontant ses difficultés de réapprovisionnement en développant une stratégie innovante pour revitaliser un matériel vieillissant.
Des armes iraniennes déjà utilisées par la Russie depuis le début de la guerre
Ce n’est pas la première fois que l’Iran fournit des armes à la Russie, les deux pays entretenant une relation durable dans le domaine de l’armement. Selon les données du Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), la Russie a été le principal acheteur d’armes iraniennes entre 2019 et 2023, représentant 75 % des exportations militaires de Téhéran. Malgré les sanctions régulières mises en place par les institutions internationales et certaines puissances, notamment américaine, l’Iran poursuit ses livraisons d’armes à la Russie depuis le début de la guerre russo-ukrainienne. Téhéran avait ainsi permis la livraison de plusieurs centaines de missiles en février 2024, ainsi que de nombreux drones kamikazes Shahed depuis le début du conflit. À travers ses nombreuses exportations, l’Iran s’affirme comme un acteur incontournable de l’armement, développant un modèle cherchant l’équilibre entre low cost, pragmatisme et innovation.
L’industrie de défense iranienne : entre efficacité et pragmatisme
Les capacités iraniennes reposent initialement sur un stock d’armement hérité de l’époque du Chah ou de la guerre contre l’Irak. Si le régime iranien a ensuite commandé de nombreuses armes à la Russie entre 1989 et 1991 (notamment des Su-24 Fencer, MIG 29 Fulcrum etc.), le début du XXIème siècle a imposé au régime une forte réduction de ses possibilités d’approvisionnements étrangers. Cette situation a contraint le pays à adopter une certaine forme de pragmatisme, à la fois en réadaptant un matériel vieillissant mais aussi en innovant à bas coût. Ce modèle semble être devenu la base de l’industrie de défense iranienne, à l’image du Shahid Mahdavi, un porte-conteneurs transformé en porte-drones par les gardiens de la Révolution. En adoptant cette doctrine, l’Iran s’est imposé comme un acteur incontournable sur le marché de l’armement, fournissant de nombreux acteurs internationaux, comme les forces armées soudanaises ou encore l’Ethiopie, le Venezuela ou la Bolivie.
Outre l’amélioration de matériels préexistants, l’Iran a fait le choix, comme d’autres industries de défense, notamment la Turquie, de concentrer ses efforts sur la production de drones et de missiles. En mettant l’accent sur la production de ce type d’armement, l’Iran a vraisemblablement réussi à multiplier ses exportations d’armes tout en augmentant l’efficacité de celles-ci. Illustrées par de réels progrès technologiques, les drones iraniens maintiennent également un faible coût de production en agrégeant des composants produits à l’étranger. Le caractère low cost de ces drones favorise dès lors son emploi dans les conflits contemporains, comme au Yémen ou en Russie. Ces armes sont ainsi aussi bien utilisées par des groupes menant des guerres asymétriques que par des acteurs impliqués dans des conflits de haute intensité.
Face à l’inefficacité des embargos, une rupture profonde des relations avec l’Iran
Quoiqu’il en soit, l’utilisation massive des armes iraniennes par la Russie depuis le début du conflit en Ukraine illustre la résilience de l’industrie de défense de Téhéran. A travers la recherche de nouveaux partenaires et l’utilisation de voies « commerciales » parallèles, comme les bateaux de pêcheurs suspectés de transporter du matériel militaire en mer Rouge, l’Iran sait maintenir ses capacités d’exportation. Cette résilience modifie l’intensité des conflits et le ton des positions occidentales, contraignant ainsi les autres pays à trouver de nouvelles voies de sanctions. En effet, face à l’inefficacité des embargos, il semble que ces derniers ne puissent que durcir le ton, à l’image de certains pays européens qui souhaitent sanctionner Iran Air, la compagnie aérienne de Téhéran. Les Ministres des Affaires étrangères de la France, de l’Allemagne et du Royaume-uni ont notamment déclaré en septembre vouloir « travailler à la désignation d’individus et d’entités impliqués dans le programme de missiles balistiques de l’Iran ».
L’inefficacité des sanctions occidentales et internationales pourrait par ailleurs encourager, si ce n’est illustrer, la création d’institutions ou de pratiques internationales vouées à exclure les pays occidentaux pour favoriser l’émancipation des autres pays des systèmes dominés par l’Occident. Le maintien des exportations d’armes iraniennes en Russie pourrait ainsi s’inscrire dans la nouvelle doctrine russe « Karaganov » : dés-occidentaliser le monde en contournant les puissances occidentales et les institutions dans lesquelles elles sont présentes.
Louis Durand
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