Des employés de l’entreprise Skyeton assemblent des drones de surveillance dans la région de Kiev, en Ukraine, le 27 février 2024 (AFP/Roman PILIPEY)
Maxime Levkivsky, costume élégant et café à la main, reçoit dans des locaux dignes de n’importe quelle start-up, au style industriel et pierres apparentes. Dans ce bâtiment de la région de Kiev, à la localisation tenue secrète, son entreprise fabrique des drones pour l’armée ukrainienne.
« Les Russes ont un énorme avantage concernant la quantité d’hommes, de tanks, d’avions et d’argent », explique ce responsable de Skyeton aux cheveux poivre et sel. « Donc pour nous, la seule façon de gagner, c’est d’avoir un avantage technologique ».
Selon Andriï Fialkovsky, directeur de l’entreprise, « c’est une guerre de drones ».
L’Ukraine entend muscler son industrie de la défense, un effort perçu comme essentiel compte tenu des carences de l’aide occidentale mais qui sera long et très coûteux.
Les drones, eux, sont relativement faciles à fabriquer et souvent bon marché. Bien conscient de leurs atouts, le président Volodymyr Zelensky a fixé pour objectif d’en produire un million en 2024.
Andriï Fialkovsky, directeur de l’entreprise Skyeton, devant un drone de surveillance, dans la région de Kiev, en Ukraine, le 27 février 2024 (AFP/Roman PILIPEY)
Pour les responsables de Skyeton, c’est une question d’indépendance et d’efficacité.
En termes d’armement, « l’Ukraine est malheureusement le plus grand terrain de jeu du monde » et le front évolue constamment, souligne Andriï Fialkovsky. Alors, « personne » n’est mieux placé que les Ukrainiens pour comprendre les besoins des soldats, insiste-t-il.
Skyeton aime d’ailleurs recruter d’anciens combattants pour leur expérience du front. Maxime Levkivsky est lui-même passé par l’armée.
– Risque de frappes –
Avant toute embauche, l’entreprise mène aussi des vérifications sur le profil du candidat, pour minimiser le risque de fuites d’informations.
Un employé de l’entreprise Skyeton travaille sur un drone de surveillance dans la région de Kiev, en Ukraine, le 27 février 2024 (AFP/Roman PILIPEY)
Au sein des fabricants de drones ukrainiens, cibles de choix pour les attaques russes, la paranoïa est obligatoire.
« Nous sommes constamment exposés au risque d’être touchés par une frappe », explique Maxime Levkivsky, pour qui la sécurité est un des défis principaux pour l’industrie.
Le bâtiment visité par l’AFP n’abrite ainsi qu’une partie de la chaîne de production de Skyeton, qui est répartie entre plusieurs sites pour la rendre moins vulnérable, méthode courante dans le secteur.
Sous une lumière de néons ultra-blanche, ils sont ce jour-là une dizaine d’employés à assembler des drones. Filmer ou photographier leurs visages est interdit, autre mesure de précaution.
Un employé de l’entreprise Skyeton travaille sur un drone de surveillance dans la région de Kiev, en Ukraine, le 27 février 2024 (AFP/Roman PILIPEY)
Un peu plus loin, d’autres les testent: il faut s’assurer que leur mise en place est rapide, car chaque minute passée à préparer ces engins expose les soldats aux tirs ennemis.
Ils produisent pour l’armée ukrainienne le drone de surveillance à longue portée Raybird, qui peut voler jusqu’à 2.500 km pour espionner les positions ennemies, en mode dit « hors ligne », et jusqu’à 120 km en restant connecté avec son opérateur.
– « Comme des champignons » –
Depuis les premiers mois de l’invasion russe, en 2022, le nombre d’entreprises ukrainiennes fabriquant des drones a plus que doublé, selon les autorités, qui en dénombrent environ 200.
Maxime Levkivsky, l’un des responsables de l’entreprise Skyeton, dans la région de Kiev, en Ukraine, le 27 février 2024 (AFP/Roman PILIPEY)
« Il y a eu un boom l’an dernier, elles poussaient comme des champignons », explique Vadym Iounyk, président de l’association nationale des fabricants de drones et co-fondateur de ISR Defence, une compagnie qui en produit.
Même si « actuellement, il est impossible d’assembler un drone 100% ukrainien », admet-il, car les batteries, microcircuits ou puces doivent être importés.
Toutes ces entreprises produisent des appareils aux fonctions variées, du drone kamikaze peu cher à l’engin perfectionné, dont certains sont capables de s’adapter à différentes situations.
L’engin star de ISR Defence, le « R18 », peut ainsi larguer des explosifs sur les troupes russes mais aussi transporter des munitions ou du ravitaillement aux soldats, quand le transport en véhicule est trop risqué.
Le « Vampire », un redoutable drone de combat produit par l’entreprise ukrainienne éponyme, a également livré des médicaments et de la nourriture aux habitants de zones inondées après l’explosion du barrage de Kakhovka, en juin 2023, dans le sud de l’Ukraine.
Les producteurs ukrainiens se disent engagés dans une course au progrès face à leurs homologues russes.
« Ils apprennent à mieux cacher leurs drones, on apprend à mieux les reconnaître et les neutraliser », explique le porte-parole de Vampire, qui refuse de donner son nom pour des raisons de sécurité.
La confidentialité étant une vertu cardinale du milieu, les entreprises ne sont pas bavardes sur les nouveautés en préparation.
Des employés de l’entreprise Skyeton testent un drone de surveillance, dans la région de Kiev, en Ukraine, le 27 février 2024 (AFP/Roman PILIPEY)
Mais Skyeton glisse miser sur l’intelligence artificielle pour développer de nouveaux engins, améliorer leur navigation ou détecter les positions ennemies.
Vadym Iounyk espère que ces innovations permettront à son pays de compenser ses points faibles.
« On voit bien que l’Europe, même si elle veut aider, ne peut que nous donner des armes, personne ne va nous donner des hommes », note-t-il, or « vous pouvez avoir un entrepôt rempli d’armes, si personne n’est là pour tirer, elles ne servent à rien ».
Pour M. Iounyk, les drones peuvent rebattre les cartes, car « une seule personne peut en contrôler une nuée ». « C’est pour cela qu’on doit investir toutes nos forces là-dedans. »
© 2024 AFP
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