Au salon européen du drone professionnel UAV Show, qui se tient jusqu’à jeudi à Bordeaux, l’un des stands où l’on se bouscule le plus n’est pas celui de la dernière innovation en date, mais celui de la… DGAC, la Direction générale de l’aviation civile.
Ses représentants, et notamment ceux de la DSAC, la Direction de la sécurité de l’aviation civile, enchaînent les entretiens, en particulier avec les start-up, sur les dernières évolutions réglementaires entrées en vigueur, et celles à venir dans les prochains mois. Car les conditions de vol des drones en France et en Europe sont à un véritable tournant, ce qui représente une crainte pour certains opérateurs, et de nouvelles opportunités pour d’autres.
Des scénarios européens qui ouvrent les marchés de 29 autres pays
« Nous sommes sur la fin d’une grande période de transition », explique Romain Bevillard, directeur par intérim du programme drones à la DSAC. « En France, nous avons été pionniers dans la mise en place d’une réglementation propre aux drones, qui date de 2012, ce qui a permis un essor technologique de la filière. Mais depuis 2020, l’entrée en application de réglementations européennes change la donne. Quand la réglementation nationale distinguait les pros d’un côté, le loisir de l’autre, la réglementation européenne ne fait pas ce distinguo, préférant séparer les opérations à faible risque (catégorie ouverte), à risque modéré (catégorie spécifique) et à risque très élevé (catégorie certifiée). »
Si le « scénario français » doit perdurer encore deux ans pour les 15.000 exploitants professionnels de drones en France, pour les nouveaux, dès le 1er janvier 2024, ce sont les scénarios européens qui s’appliqueront immédiatement. « C’est une transition qui inquiète la filière professionnelle française car il y a des changements assez radicaux pouvant nécessiter de passer des formations complémentaires, ou éventuellement de changer de drone, poursuit Romain Bevillard. A l’inverse, ces nouveaux scénarios sont européens et ouvrent donc les marchés de 29 autres pays… »
Le projet de Volocopter pour les JO 2024 à Paris « engagé dans une démarche de certification »
« Pour les opérations à faible risque, vous n’aurez pas besoin d’autorisation particulière », détaille le « Monsieur Drones » de la DSAC. « Vous passez juste l’examen de base, très accessible, et à partir du moment où vous respectez les règles, vous volez sans avoir besoin d’autorisation. »
La catégorie « spécifique » nécessitera, elle, des autorisations. Elle regroupe « un panel très large d’opérations, avec des cas d’usage différents qui vont de la surveillance de sites industriels à la prise de vue en passant par l’épandage agricole ou encore le transport d’échantillons… ».
Et « à l’autre bout du spectre », il y a la catégorie certifiée, qui concerne le transport des marchandises dangereuses, l’intégration dans la circulation aérienne, ou encore le transport des passagers… Le transport de passagers « est une catégorie aujourd’hui inexistante mais il y a des projets », comme celui de la start-up allemande Volocopter, qui ambitionne de lancer ses eVTOL (aéronefs électriques à décollage et atterrissage verticaux), service commercial de taxis volants, pour transporter, avec pilote, ses premiers clients autour de Paris pendant les Jeux olympiques de 2024. « Cette entreprise est aujourd’hui engagée dans une démarche de certification », confirme Romain Bevillard.
« Encapsuler les drones dans des corridors »
Qu’il s’agisse de transport de passagers ou de marchandises, dangereuses ou pas, les grands enjeux pour ces futures exploitations de drones, reposeront évidemment sur la sécurité. « Le danger peut être au sol si le drone tombe, mais il peut aussi venir du ciel, sachant qu’à basse altitude il y a déjà du monde : les ULM, les parapentes, de l’aéromodélisme, les feux d’artifice… », énumère Olivier Vuillemin, chef de cabinet à la DSAC du Sud-Ouest. « Si on veut tester ces concepts, il faut ségréguer les trafics, et donc « encapsuler » les drones dans des corridors dans lesquels ils seront tout seuls », ajoute Romain Bevillard.
C’est précisément l’objectif de la réglementation européenne U-space, entrée en vigueur le 26 janvier dernier. L’U-space désigne la gestion du trafic aérien des aéronefs sans équipage à bord (UAS), garantissant une intégration sûre de ces drones dans les espaces aériens. « Cela va permettre d’autoriser des opérations récurrentes de vols de drones cargo avec un emport de marchandises », se réjouit Stéphane Bascobert, président de la start-up toulousaine Innov’ATM, éditeur de logiciels développant des solutions de gestion du trafic aérien pour l’aviation commerciale et les drones.
« Plafond de verre quant au niveau de fiabilité de ces engins »
Innov’ATM aura pour mission d’effectuer les démarches de certification auprès de la DSAC, pour le compte d’opérateurs de drones. « Une fois la certification décrochée, nous pourrons déployer des U-space là où nos clients le demandent, pour effectuer de la livraison par drone, poursuit Stéphane Bascobert. Le secteur le plus avancé à ce jour, est le secteur médical, avec de la demande pour les transports de matériaux d’analyse biologique. Le drone aura l’avantage de réduire le temps de transport, et surtout d’assurer une régularité du temps de parcours, là où l’infrastructure routière est dépendante des conditions de circulation. »
Romain Bevillard confirme qu’il existe « un élan international pour favoriser ces usages ». En 2022, un drone a effectué des vols test en Belgique pour transporter des tissus humains d’un hôpital à un autre. En France, la start-up Atechsys a reçu une autorisation de vol de la DGAC pour de la livraison au profit de La Poste, dans des zones montagneuses dans le Var et en Isère. Sur une courte distance et au ras des arbres.
L’entrée en vigueur de cette réglementation européenne, n’est toutefois pas un blanc-seing à la délivrance d’autorisations de création de ces corridors, loin de là, car il faudra prouver que c’est sans danger. « On peut envisager des couloirs ségrégués, mais sur des zones préétablies, on ne pourra pas aller n’importe où, assure Romain Bevillard. Et c’est une solution qui ne peut être que transitoire avant que l’on arrive à une intégration réelle des drones dans l’espace aérien européen. Attention aussi à ne pas faire du « healthwashing », comme certains font du « greenwashing », c’est-à-dire que sous prétexte de « sauver des vies » – ce qui est évidemment à relativiser dans des pays où les infrastructures de transport existent déjà et sont efficaces – il faudrait autoriser la circulation de drones à n’importe quel prix. A ce jour, il subsiste encore une sorte de plafond de verre quant au niveau de fiabilité de ces engins, et que ce soit pour livrer une pizza ou un défibrillateur, la sécurité passe avant tout. »
« Eviter au maximum le survol des populations »
Stéphane Bascobert se veut évidemment plus optimiste. « Dans notre projet, l’idée est d’éviter au maximum le survol des populations, avec notamment la volonté de relier des centres de prélèvement à un plateau technique qui effectue les analyses médicales. Nous sommes précisément là pour favoriser la mise en place de ces corridors aériens en toute sécurité, montrer que ça marche et que ce n’est pas dangereux. »
Directeur de Bordeaux Technowest, l’incubateur de start-up à l’origine du salon UAV-Show en 2012, François Baffou croit aussi à « la livraison de produits liés à la santé, ou à forte valeur ajoutée ». Mais il écarte les projets de « livraison de pizzas ou autre marchandise non essentielle. » « Pourquoi la DGAC irait prendre des risques pour la population en autorisant ce genre de livraison, si cela se transporte très bien par le sol ? »
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