Après une heure d’entrainement à peine, le drone dopé au machine learning de l’Université de Zurich s’est hissé au niveau des meilleurs pilotes compétitifs humains.
Ces dernières années, de plus en plus de passionnés se sont pris d’amour pour les courses de drones. Même si elles ne jouissent pour le moment pas du même prestige que les grandes compétitions traditionnelles plus télégéniques, comme la Formule 1 ou le MotoGP, il s’agit d’une discipline spectaculaire et très exigeante dont la popularité augmente rapidement. Et les amateurs de course et d’engins volants ne sont pas les seuls à s’y intéresser ; tout récemment, une équipe de chercheurs repérée par New Atlas a développé un système autonome à base de machine learning qui a mené la vie dure à trois des meilleurs pilotes du moment.
Ces travaux ont été conduits par une équipe issue de l’Université de Zurich en collaboration avec Intel. Ensemble, ils ont conçu un système baptisé Swift, un modèle IA qui permet à un drone de voler en toute autonomie. Jusque là, rien de bien original ; de nombreux drones sont déjà dotés d’un programme qui leur permet par exemple de revenir se poser à proximité de l’opérateur.
La particularité de Swift, c’est qu’il ne permet pas seulement de se déplacer d’un point A à un point B sans s’écraser. Son objectif est d’apprendre à parcourir un circuit compétitif le plus rapidement possible. En l’occurrence, il s’agissait d’un tracé à 7 points de passage décrit comme « technique » et « assez complexe ». Il comportait notamment un retournement acrobatique que seul un pilote expert pouvait négocier correctement.
Pour permettre au drone de se frayer un chemin à travers les checkpoints, les chercheurs ont commencé par l’entraîner leur modèle IA dans un environnement virtuel. Ils en ont fait « voler » 100 exemplaires dans une simulation informatique afin que le système puisse comprendre le tracé. Une fois les points de passage identifiés, le système a ensuite cherché les lignes de courses les plus prometteuses, puis optimisé l’approche de chaque virage en fonction de la vitesse attendue et des propriétés du drone. Cette phase a nécessité environ une heure de calcul.
L’autonomie à grande vitesse, un défi technique majeur
Mais ce processus n’était pas encore suffisant. Car à partir de là, le drone devait être capable de suivre cette trajectoire le mieux possible sans la moindre assistance extérieure, en utilisant uniquement sa caméra et ses capteurs embarqués. C’est un défi technique considérable, car il existe des tas de facteurs comme les turbulences de l’air qui peuvent avoir une influence significative sur le comportement des appareils pendant ces courses qui peuvent dépasser les 100 km/h.
Or, à cette vitesse, il devient très difficile de collecter et de traiter suffisamment d’informations pour calculer précisément la trajectoire. Un opérateur en chair et en os est capable d’anticiper intuitivement l’impact de ces différences et de s’y adapter en temps réel. L’algorithme, au contraire, risquait de perdre complètement les pédales si sa trajectoire réelle s’écartait trop de la simulation optimale. Et c’est là que réside toute la difficulté du développement d’un tel système.
« Atteindre le niveau des pilotes professionnels avec un drone autonome est un défi, parce que le robot doit voler à la limite de ses limites physiques tout en estimant sa vitesse et sa position seulement à partir de son électronique embarquée », expliquent les chercheurs dans leur publication.
Jusqu’à présent, les équipes précédentes qui ont travaillé sur les courses de drones ont surtout de choisi de contourner le problème en s’appuyant sur un ensemble de caméras à haute vitesse disposées de part et d’autre du circuit. Mais puisque les auteurs voulaient développer un système strictement autosuffisant, ils ont dû chercher une autre approche.
Pour s’approcher des performances des humains, ils ont à nouveau opté pour le machine learning. Les chercheurs ont lancé une seconde phase d’entraînement dont l’objectif était cette fois d’aider le drone à gérer les situations où il serait susceptible de s’écarter de cette trajectoire idéale.
Les pilotes humains clairement battus
Au terme de l’entraînement, ils sont passés à la phase concrète. Ce drone de course autonome a été opposé à trois machines contrôlées par des humains lors d’une course de trois tours. Aux manettes, on trouvait Thomas Bitmatta et Marvin Schaepper, deux pilotes de premier plan, et surtout Alex Vanover, champion du monde de la discipline en 2019.
Et les résultats ont été assez impressionnants : le drone des chercheurs a remporté 15 de ses 25 courses. La plupart du temps, ces victoires étaient très convaincantes. Alors que ses adversaires humains avaient eu droit à une semaine complète d’entraînement, il a signé le meilleur temps au tour avec environ une demi-seconde d’avance — une marge considérable sur un circuit d’environ 6 secondes.
Dans l’ensemble, sa régularité était assez remarquable. Même Vanover, qui était largement le plus régulier parmi le trio d’humains, a tout de même signé une dizaine de chronos entre 8 et 10 secondes suite à des erreurs de manœuvre. Ses deux compères ont tous les deux signé plus de 25 temps dans cette fourchette. Swift, en revanche, n’a pas dépassé une seule fois les 7 secondes.
L’autre point intéressant, c’est la nature des échecs. Sur ses 10 défaites, le drone autonome a été déclaré perdant 4 fois à cause d’une collision avec le drone adverse — un facteur dont les chercheurs n’ont pas du tout pris en compte lors de l’entraînement. A 4 reprises, il a perdu parce qu’il a percuté les portes qui servaient de points de passage. Il s’agissait d’erreurs liées à une correction inadéquate par la seconde partie du système prédictif. Au final, dans les cas où les deux appareils sont arrivés au bout du parcours, le drone des chercheurs n’a donc perdu qu’à deux reprises.
Selon les chercheurs, il s’agit de la « première fois qu’un robot autonome a atteint des performances de niveau champion du monde dans un sport compétitif en conditions réelles ».
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L’autonomie des drones, une épée à double tranchant
Au-delà de l’exploit technique, ce genre de travaux pourrait déboucher sur des avancées très intéressantes. Certes, la portée de cette étude en particulier est assez limitée ; mais ce qui est intéressant, c’est qu’elle montre de façon très concrète qu’un drone 100 % autonome dopé au machine learning peut facilement apprendre à réaliser des manœuvres extrêmement rapides et précises, même avec un temps d’entraînement très court (une heure dans ce cas précis).
Avec une phase d’entraînement plus longue, notamment sur la partie corrective, il serait théoriquement possible d’éliminer presque entièrement les collisions avec l’environnement et les autres appareils, à condition qu’ils soient capables de communiquer entre eux. A ce stade, ce genre d’algorithme pourrait donc permettre de faire fonctionner de grandes flottes de drones logistiques, comme des quadcoptères livreurs capables de slalomer entre des immeubles à toute vitesse.
Malheureusement, il y a un revers de la médaille. Avec un degré d’autonomie encore plus important qui ne dépendra pas d’un circuit prédéfini, ce type de modèle IA pourrait aussi alimenter une nouvelle génération de robots de combat particulièrement meurtriers. C’est une thématique qui a le vent en poupe en ce moment. Il suffit de constater l’importance des drones pilotés de la même façon que ces engins de course (avec un casque qui retransmet le flux de la caméra embarquée en direct) dans la guerre en Ukraine pour s’en convaincre.
En parallèle, toutes les grandes puissances militaires développent en ce moment des systèmes autonomes de plus avancés. Par exemple, cette semaine, le Département de la Défense américain a publié un long billet où il annonce explicitement son intention de développer de nouveaux systèmes autonomes divers et variés d’ici quelques années. Heureusement, nous sommes encore très loin d’un futur à la Armored Core 6, le dernier blockbuster de FromSoftware où l’humanité s’oblitère à grands coups de robots de destruction massive… mais c’est incontestablement dans cette direction que se dirige l’industrie militaire d’aujourd’hui. Il conviendra donc de rester attentifs à l’évolution de ces technologies qui vont sans doute bouleverser notre société, pour le meilleur comme pour le pire.
Le texte de l’étude est disponible ici.
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