Comment l’Ukraine revitalise son industrie d’armement

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En mars, l’Ukraine a brusquement remanié son équipe chargée de l’industrie de la défense. Oleksandr Kamyshin, un gestionnaire hyperactif au pedigree réformiste, a été nommé à la tête d’un ministère des industries stratégiques renforcé. Il a déjà redressé les chemins de fer et bénéficie de la confiance des proches du président Volodymyr Zelensky. Plus surprenante encore est la récente nomination de Herman Smetanin, un jeune innconu de 31 ans, à la tête du consortium de défense de l’État, Ukroboronprom. Il est chargé de mettre de l’ordre dans cette entreprise tentaculaire, inefficace et notoirement corrompue, en temps de guerre.

Smetanin, un ingénieur qui a gravi les échelons depuis l’atelier jusqu’au bureau du directeur, est particulièrement qualifié pour ce poste peu enviable. Au début de la guerre, en février 2022, il était le directeur de l’usine de chars d’assaut vétuste de sa ville natale de Kharkiv à 35 km de la frontière russe. Il a vécu dans l’usine pendant les premières semaines terrifiantes, alors que les bombes tombaient sur les toits, tandis qu’un commando d’ouvriers poursuivait la production pendant les pauses entre les bombardements. Tous les contrats de défense ont finalement été exécutés. « Si les mortiers ou l’artillerie atterrissaient à proximité, on attendait une demi-heure avant de recommencer », se souvient-il.

Société d’Etat corrompue

Mais on se demande s’il est possible et même opportun de redresser la maison-mère de cette usine, qui s’est construite sur la corruption dès ses premiers jours. Lorsque l’Union soviétique a éclaté en 1991, l’Ukraine a hérité de l’un des plus grands complexes militaires au monde : construction navale, chars, aviation, missiles. Au cours des deux années suivantes, l’Ukraine a créé trois agences qui, avec l’aide d’officiers corrompus, ont siphonné tout ce qu’elles pouvaient sur les marchés noirs. L’Ukraine a cessé de fabriquer des munitions. Les usines sont restées à l’arrêt. Les produits les plus avancés ont été remodelés pour le marché de l’exportation.

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En 1996, alors que le gouvernement est au bord de la faillite, les trois agences sont reprises par une nouvelle entreprise étroitement liée aux services de sécurité russes, alors que, à l’époque, les industries de défense des deux pays étaient encore étroitement intégrées. Un nouveau groupe a vu le jour en 2010. Cette société, Ukroboronprom, était censée favoriser les synergies, mais en réalité, a plus servir à l’enrichissement personnel de ses fondateurs. « Ukroboronprom était morte à la naissance », déclare une source qui travaillait dans l’entreprise à l’époque.

Lorsque la Russie a initié la guerre en 2014, et l’invasion à grande échelle en 2022, Ukroboronprom s’est mobilisé, mais n’a pas réussi à s’imposer. Il y a tout de même eu des succès notables. Sur plus d’une centaine d’unités d’exploitation, une demi-douzaine d’entre elles étaient encore en mesure de fabriquer des armements compétitifs. L’usine chimique de Pavlohrad, par exemple, fournit de la poudre à canon, un produit très demandé en temps de guerre. Le bureau d’études Luch de Kiev a fabriqué les missiles guidés antichars Stugna, qui ont contribué à stopper la marche de la Russie sur Kiev, et les missiles de croisière Neptune, qui ont coulé le navire amiral russe de la mer Noire, le Moskva.

Mais ce sont les entreprises privées, indépendantes de l’entreprise publique Ukroboronprom, qui ont donné le ton dans cette guerre. Les drones d’attaque, principale nouvelle arme d’un conflit qui, autrement, ressemble souvent à la Première Guerre mondiale, sont presque tous produits par le secteur privé. Les nouveaux entrepreneurs du secteur des drones estiment que ce sont eux, désormais, qui représentent le meilleur de l’innovation ukrainienne en matière de défense. « Je considère que ma mission est de redorer le blason de notre industrie militaire », déclare Vitaliy Kolesnichenko, directeur d’AirLogix, un développeur de drones basé à Kiev.

Objectif: réorganisation et partenariats

Le défi d’Herman Smetanin est donc de rendre son lustre à Ukroboronprom… et de réduire ses pertes. Son objectif est simple: augmenter la production, restructurer l’entreprise et s’attaquer à la corruption. Selon lui, des progrès ont déjà été accomplis sur le premier point. La production d’obus a augmenté, selon les modèles, de 100% à 1000% depuis quelques mois qu’il a pris ses fonctions. La production d’armes de toutes catégories augmente, malgré les attaques constantes de la Russie. L’entreprise est en train d’être réorganisée, avec des filiales spécialisées par type d’équipements : véhicules blindés, aviation, construction navale, etc. Les 34 des 66 unités qui sont encore des entreprises d’État seront bientôt transformées en sociétés privées. La nomination des directeurs d’usine, source majeure de corruption dans le passé, sera désormais confiée à une commission indépendante.

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Selon un informateur du ministère de la Défense, des partenariats public-privé seraient le seul espoir pour l’équipe de jeunes réformateurs de Smetanin de ressusciter Ukroboronprom. « Pouvez-vous redresser une soixantaine d’usines corrompues et sous-financées ? Je ne le crois pas. Mais peut-on les utiliser comme plates-formes pour le développement privé ? Peut-être ». Une source gouvernementale de haut niveau reconnaît que le jeune nouveau patron aura du mal à sauver le géant ukrainien de la défense qui sommeille. « Logiquement, il n’a aucun espoir. Mais nous vivons dans un pays qui s’appelle l’Ukraine, alors il a une chance ».

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