Les dépenses militaires mondiales ont dépassé 2443 milliards de dollars en 2023, selon l’Institut international de recherche sur la paix, basé à Stockholm. Un record. Une recrudescence d’intérêt pour le secteur qui se ressent à Eurosatory, plus grand salon international d’armement terrestre, qui se tient à Villepinte, au nord de Paris jusqu’au 21 juin. Des armées de tous les continents s’y pressent pour y découvrir tous les équipements développés par l’industrie de défense.
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La guerre en Ukraine a rappelé à de nombreux Etats l’importance de disposer d’un armement à même de résister à une attaque ou de la dissuader. « Les Européens se sont souvenus que l’armement est un enjeu de survie face à des puissances hostiles », souligne Léo Péria-Peigné, chercheur de l’IFRI, qui vient de publier Géopolitique de l’armement (éd. Le Cavalier Bleu).
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L’Express : En quoi l’armement est-il un outil de la géopolitique ?
Léo Péria-Peigné : C’est l’outil de base de la guerre, un des composants essentiels de la géopolitique depuis toujours. Etre armé ou désarmé place un État dans une position favorable ou défavorable face à un autre, qui peut ou non lui imposer ses objectifs stratégiques. La méthode d’acquisition importe aussi : produire son propre armement ne signifie pas la même chose que l’acquérir auprès d’un État tiers en termes d’indépendance et de souveraineté.
Avec la guerre en Ukraine, les Européens ont redécouvert tout l’intérêt de cet outil…
Oui, beaucoup se sont souvenus que l’armement est un enjeu de survie face à des puissances hostiles. L’Occident s’est mis dans une position de soutien à l’Ukraine en lui fournissant de l’armement pour résister à l’envahisseur russe. Mais la consommation de matériel et de munitions sur place dépasse de loin la capacité de production européenne, voire occidentale. Cela n’a rien à voir avec les guerres asymétriques auxquelles correspondait, par exemple, le modèle de forces de la France, engagées, ces dernières décennies, dans des conflits en Afrique contre des groupes moins bien armés.
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Comment arbitrer correctement entre quantité et qualité ?
Dans un conflit en haute intensité, avec des pertes importantes, le bon ratio est celui que l’on peut soutenir dans la durée. Il est inutile d’avoir 2000 chars obsolètes qui n’obtiendront pas de résultats réels sans pertes insoutenables, pas plus qu’avoir vingt chars très performants mais irremplaçables et irréparables en cas de pertes.
En matière d’armement, c’est comme au poker, le plus important ce ne sont pas les cartes, mais ce qu’on en fait. L’armée russe a pu s’en rendre compte face aux Ukrainiens au début de l’invasion. Si l’ennemi est plus mobile, le meilleur char ne sert pas à grand-chose. A l’inverse, les AMX 10 RC donnés à Kiev par la France, des véhicules légers, peu blindés, mais bien armés et très mobiles n’étaient pas adaptés au front ukrainien figé, labouré de shrapnels coupants pour ses roues. Il a été pensé pour faire de l’éclairage, de la reconnaissance en force et s’est révélé trop fragile pour se rapprocher de l’ennemi russe.
On dit que le char Leclerc, que la France n’a pas proposé à l’Ukraine, est l’un des meilleurs au monde…
Peut-être, mais seules deux autres armées en disposent, en plus de l’armée française : celles des Émirats arabes unis et de Jordanie. Un souci récurrent des armements français est qu’ils sont faits par et pour la France, que l’État français intervient beaucoup dans les programmes, en tenant peu compte des perspectives d’exports. Le canon CAESAR est une exception dans ce domaine, imposé contre son gré à l’Armée de Terre. Cela a été un peu le cas avec le char Leclerc, d’autant qu’il est arrivé sur le marché après la fin de la Guerre froide, pour laquelle il a été conçu. Le « meilleur char du monde » est donc arrivé sur le marché mondial alors même que la demande s’affaiblissait rapidement, tout en coûtant plus cher que la plupart de ses concurrents.
Le Leclerc doit être remplacé à la fin de la prochaine décennie par le MGCS, qui mêlera un char avec différents objets connectés. Un projet franco-allemand, donc plus « géopolitique » ?
Oui, car il doit répondre aux besoins des armées allemande et française, deux nations qui se sont affrontés par le char au XXe siècle. C’est là toute la difficulté : l’armée française s’est bâtie depuis trente ans sur un modèle expéditionnaire, parce que le territoire métropolitain est protégé par la dissuasion nucléaire. Elle veut donc un char mobile, qu’on puisse déployer rapidement. Les Allemands, eux, veulent un char lourd pour protéger leur territoire, faire la guerre en Europe. En outre, nos deux industries diffèrent : la base industrielle de technologie et de défense (BITD) française développe et produit d’abord pour l’armée française, avec sa doctrine spécifique, quand la BITD allemande produit pour le marché, et développe des produits susceptibles d’être exportés. Concilier les deux cultures d’entreprise et de travail peut être difficile.
Les Français se montrent très critiques envers les alliés européens achetant « sur étagère ». Pour quel avantage cependant ?
L’exemple pertinent, c’est le remplacement des LRU, les lance-roquettes dont l’armée française dispose en petites quantités et qui seront obsolètes à court terme. La France pourrait développer un système souverain pour les remplacer, mais ce sera très cher et elle s’y prend déjà tardivement et envisage d’acheter moins d’une trentaine d’exemplaires. L’autre choix est une solution « sur étagère » : ce sera moins cher, car il n’y aura pas de frais de développement et elle pourra acquérir plus de munitions pour un même coût.
L’inconvénient, c’est qu’elle se mettrait dans une situation de dépendance. Les pièces les plus importantes du système seraient produites ailleurs. Concernant les munitions, le pays qui les fournit pourrait activer des porte-arrières les rendant inopérant, s’il estime qu’elles pourraient être employées pour un conflit non-légitime. Un problème qui ne se pose pas quand le système est souverain.
C’est l’un des exemples frappant du livre. En quoi l’armement constitue un outil d’affirmation pour des puissances émergentes comme la Turquie ?
Il y a cinquante ans, après l’annexion d’une partie de l’île de Chypre, les Etats-Unis ont décrété un embargo sur les armements à destination de la Turquie, son allié de l’Otan. Les Turcs se sont rendu compte de leur dépendance et de leur vulnérabilité, et se sont lancés dans un politique d’autonomisation de leur industrie de défense. Cela leur a permis de développer des équipements différents de ceux vendus par les Etats-Unis, moins chers, comme, dernièrement, son drone Bayraktar. De cette offre propre, plutôt bon marché, la Turquie a su faire un outil diplomatique : le Bayraktar s’est vendu dans plus d’une vingtaine de pays. L’offre turque a ses avantages mais reste encore imparfaite, notamment sur les segments les plus avancés comme l’aviation, où les éléments les plus complexes comme le moteur doivent être importés.
Pourquoi tant d’Européens achètent-ils Américains ?
L’achat d’armes établit des relations politiques entre le vendeur et l’acheteur. Acheter américain permet à de nombreux pays de marquer leur attachement à l’Otan et aux Etats-Unis, avec l’idée que ceux-ci vous aideront à vous défendre s’il y a une guerre. La France peut le faire dans certains partenariats, comme avec les Émirats arabes unis, mais à une échelle moindre, ce qui peut lui nuire dans la compétition face à l’industrie américaine.
La France va commencer la construction d’un nouveau porte-avions pour remplacer le Charles-de-Gaulle. Est-on sûr qu’il sera un outil pertinent à l’avenir ?
Disons que dans un conflit en haute intensité, la Marine y réfléchira à deux fois pour engager un navire aussi puissant que difficile à remplacer ou même réparer. Le porte-avions a d’autres utilités, mais certains experts considèrent que pour le même prix, la France pourrait s’équiper avec des armements plus utiles et moins vulnérables. Mais le porte-avions remplit aussi des missions de représentation, de soutien et de dissuasion. Et c’est un armement structurant pour la base industrielle et technologique de défense française.
Quelles seront les armes du futur, celles qui pourraient changer la façon de faire la guerre ?
Je pense que ce seront des armes suffisamment accessibles, comme les drones, pour être déployées par plus de pays qu’un petit club restreint de grandes puissances et qui leur donnent des capacités qu’ils ne pouvaient auparavant se payer. Avec le développement des drones subaquatiques, des États qui n’auraient jamais eu les moyens d’acquérir des sous-marins modernes pourront disposer de capacités, certes limitées, mais que d’autres puissances devront prendre en compte. Cela va changer le visage de l’armement, et de l’équilibre géopolitique en général.
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