Palmer Luckey possède six hélicoptères. Il en voudrait un septième : un Chinook, le plus performant des forces armées occidentales. Quand votre chroniqueur, lors de leur rencontre à Londres, lui suggère que l’armée britannique pourrait lui en vendre un, il déplore que les “civils américains excentriques” ne soient pas prioritaires sur la liste des acheteurs. “Je me suis dit qu’il faudrait peut-être que j’aille voir du côté des talibans.”
Concurrence aux plus grands fabricants d’armes américains
Palmer Luckey, qui a cofondé Anduril, une société développant des technologies de défense, en 2017, plaisante. Pourtant, cela semble plausible dans la bouche de ce jeune homme de 31 ans à la coupe mulet, vêtu d’une chemise hawaïenne et de tongs, qui doit sa fortune à la vente d’une société de réalité virtuelle à Facebook et qui se lance maintenant dans les répliques de Game Boy. Malgré son côté excentrique, Palmer Luckey ne doit pas être sous-estimé. Anduril est en train de talonner les plus grands fabricants d’armes américains.
La société a décroché un beau contrat en avril denier avec l’armée de l’air américaine pour son programme Collaborative Combat Aircraft (CCA). Elle devra livrer à terme plus de 1 000 drones avancés afin de soutenir les avions de combat américains. Le fait que le Pentagone confie un programme phare à une start-up et passe outre la phase traditionnelle de prototypage est “extraordinaire”, assure Palmer Luckey. La guerre en Ukraine a fait office de banc d’essai pour ce type d’armes et pour l’entreprise de Palmer Luckey. Il s’est lui-même rendu à Kiev deux semaines après le début de la guerre. “Ce que nous avions produit était parfaitement adapté au type de combat en cours et conforme à ce que nous avions prédit”, affirme-t-il, soulignant trois leçons.
Drones autonomes et super logiciels en Ukraine
La première est l’importance d’avoir des drones capables de naviguer et de frapper de manière autonome, même en cas de brouillage important de leurs signaux et de déplacements dans un environnement obscur comme des nuages de fumée remplis de métal. Selon Palmer Luckey, de nombreux modèles de drones existants manquent d’efficacité dans ces conditions, car ils ne disposent pas de capteurs “multimodaux”, tels que des caméras optiques et infrarouges, pour prendre le relais de GPS défectueux, ni d’une puissance de calcul intégrée suffisante pour utiliser les algorithmes de reconnaissance d’objets les plus récents.
“Les logiciels, les capteurs et les radios des drones utilisés en Ukraine devaient être mis à jour toutes les six à douze semaines pour rester efficients. Anduril “propose littéralement de nouvelles mises à jour… chaque nuit”
Deuxièmement, les logiciels sont en train de redéfinir complètement le champ de bataille. Imaginons que la Russie commence à utiliser un nouveau type de brouilleur. Palmer Luckey explique que des données peuvent être captées et renvoyées immédiatement pour établir de nouveaux plans, qui sont ensuite installés à distance sur les armes de la ligne de front, sans qu’il soit nécessaire de modifier le matériel. Une étude récente du Royal United Services Institute, un think-tank londonien, a montré que les logiciels, les capteurs et les radios des drones utilisés en Ukraine devaient être mis à jour toutes les six à douze semaines pour rester efficients. Anduril, affirme Palmer Luckey, “propose littéralement de nouvelles mises à jour… chaque nuit”.
Process de fabrication bon marché
La troisième leçon qu’il tire du conflit ukrainien est que les armes doivent être fabriquées en grandes quantités, et donc à moindre coût. Il déplore que la Russie produise des obus et des missiles bien meilleur marché que l’Amérique : “Les États-Unis ont basculé du mauvais côté du problème alors qu’ils étaient sur la bonne piste pendant la guerre froide”. Anduril insiste sur le fait que ses processus de production ne sont pas calqués sur ceux des grandes entreprises aérospatiales, mais sur ceux de l’industrie automobile. Son chef de production est un ancien de chez Toyota et Tesla, deux constructeurs automobiles. Ses drones sous-marins sont fabriqués à l’aide de plaques de métal soudées plutôt qu’à l’aide d’une cuve sous pression “parce qu’ils peuvent être fabriqués dans ce qui ressemble beaucoup plus à une usine General Motors qu’à une chaîne de montage d’avions Lockheed Martin [concepteur américain d’avions de chasse et de missiles, ndt] ou à un chantier naval”.
Start-up montante
Pendant des années, les jeunes pousses du secteur de la tech et de la défense ont affirmé que les règles complexes du Pentagone en matière d’obtention de contrat étaient biaisées, car favorables aux grands groupes déjà connus dans ses services. Selon Palmer Luckey, Anduril a d’abord dû engager plus d’avocats et de lobbyistes que d’ingénieurs. Le vent a tourné, estime-t-il, preuve en est le nombre croissant de contrats de défense attribués à des start-up telles que Saronic, qui fabrique des drones navals. “Désormais, même au plus haut niveau, on pense qu’il est possible de faire les choses différemment.” Et les investisseurs semblent suivre le mouvement. Lors de son dernier tour de table en décembre 2022, Anduril était évaluée à environ 8,5 milliards de dollars [7,9 milliards d’euros].
“Pendant des années, les règles complexes du Pentagone en matière d’obtention de contrat étaient biaisées. Anduril a d’abord dû engager plus d’avocats et de lobbyistes que d’ingénieurs”
Selon le média en ligne The Information, la start-up espère qu’un nouveau tour de table lui permettra d’atteindre une valorisation de 12,5 milliards de dollars [11,7 milliards d’euros]. Ce chiffre ne représente toutefois qu’un dixième de la valeur du géant de l’industrie Lockheed Martin. Palmer Luckey rétorque que, outre Anduril, il n’y a eu que deux licornes [start-up valorisée à plus d’un milliard d’euros, ndt] dans le secteur de la défense, Palantir et SpaceX. Il y en a davantage dans la production de matelas, plaisante-t-il.
Négociations en cours avec le Pentagone
Le contrat avec l’armée de l’air américaine est un énorme coup de pouce, mais il ne couvre que la première partie, assez limitée, du projet CCA. En outre, certains militaires ukrainiens déplorent la lenteur des mises à jour logicielles qui rendent les drones haut de gamme Altius d’Anduril sensibles au brouillage russe, tout comme d’autres produits américains. Une autre source qui connaît bien les produits de l’entreprise et leur utilisation en Ukraine affirme que si les logiciels de l’entreprise sont impressionnants, son matériel l’est moins. Certains membres du Pentagone souhaitent séparer les deux afin que les logiciels d’Anduril puissent être plus facilement compatibles avec les produits de leurs concurrents. Pour sa part, Palmer Luckey reproche au gouvernement américain d’avoir encore et toujours une “mentalité d’homme des cavernes”, c’est-à-dire qu’il est prêt à dépenser des sommes considérables pour un produit high-tech doté d’un logiciel intégré remarquable, mais il rechigne à payer des sommes bien moindres pour “juste un peu de code”.
Anduril au secours de l’Amérique
Derrière cette frustration se cache un sentiment d’urgence. De nombreux patrons de sociétés du secteur de la défense se cachent derrière des euphémismes lorsqu’on les interroge sur leurs produits. Palmer Luckey est l’un des rares à reconnaître qu’il fabrique des objets pour faire exploser d’autres objets. Il rappelle le slogan de l’une de ses équipes, “China 27” : les produits ou les fonctions qui ne seraient pas au point en vue d’un éventuel conflit entre la Chine et les États-Unis en 2027 sont écartés.
“Palmer Luckey rappelle le slogan de l’une de ses équipes : les produits ou les fonctions qui ne seraient pas au point en vue d’un éventuel conflit entre la Chine et les États-Unis en 2027 sont écartés”
La vision de Palmer Luckey sur l’évolution des conflits armés s’appuie sur deux principes : le rôle central de la technologie, et la nécessité de disposer d’un grand nombre d’armes. “Dans cinquante ans, les mers seront transparentes. Le ciel sera transparent. Nous saurons où se trouve chaque sous-marin, chaque avion, déclare-t-il. Il s’agira alors de savoir qui fabriquera les trucs les plus performants par rapport aux trucs de la concurrence.” L’Amérique n’est pas en bonne position, conclut-il. “Nous sommes vraiment dans la merde.” Anduril, cependant, est prêt à apporter son aide.
The Economist
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